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Sander Loones, eurodéputé et vice-président de la N-VA "Le nationalisme, c'est quelque chose de bien"
Vice-président de la N-VA, l'eurodéputé Sander Loones est très proche des conservateurs britanniques. Il revient sur les conséquences du Brexit. Il plaide pour que les Ecossais aient le droit de rejoindre l'Europe, se réjouit de cet engouement pour le nationalisme. Avec dans le viseur la Catalogne et puis la Flandre.
Est-ce que le Brexit est une catastrophe ?
Bon, les Britanniques devaient décider, ils ont décidé. Le vote a été clair et il doit être respecté. Maintenant, est-ce un drame? Si on regarde les chiffres et l'impact économique, effectivement, ça va être difficile. Qui va perdre avec ce Brexit d'un point de vue économique? D'abord, l'Irlande, ensuite, la Flandre. La Flandre est la deuxième région la plus touchée de toute l'Union européenne par le Brexit. Les liens économiques entre la Flandre et l'Angleterre sont énormes et pèsent des milliers d'emplois. Voilà pourquoi le ministre-président flamand a pris position pour un "soft Brexit".
Qu'est-ce que c'est?
Cela implique un débat adulte entre le continent européen et l'Angleterre, comment trouver un nouveau vivre-ensemble permettant de sauvegarder tous ces emplois. Il faut être prudent. Ce Brexit est donc une mauvaise chose d'un point de vue économique mais aussi du point de vue des idées.
pliquez.
Si on veut une Europe fédéraliste, on soutient Angela Merkel. C'est son projet. Si on préfère une Europe interventionniste sur le plan socio-économique, avec des taxes européennes et plus de dettes, alors on doit prendre parti pour François Hollande et les socialistes. Mais si on veut une Europe avec un esprit ouvert sur le monde, sans protectionnisme et avec du libre-échange, c'était le projet des Britanniques et aussi le nôtre. Cela nous tient à coeur. Mais soyons honnêtes: avec le départ des Britanniques, cela va être plus compliqué. Dans notre groupe politique, on perdra à terme 21 députés britanniques sur 74 députés.
Vos idées sortent donc affaiblies.
Non, on doit voir comment s'organiser; il est plus facile de se défendre quand on a un grand Etat membre derrière soi. Mais quand je vois comment notre groupe ne cesse de grandir... on a des députés de 18 pays. Le groupe des conservateurs et des réformistes européens a du soutien de partout.
Surtout d'Europe de l'Est...
Pas seulement. Ceci dit, je pense qu'on doit construire davantage de ponts avec les pays nord-européens : Pays-Bas, Danemark, Finlande ou une région comme la Bavière. Ils ont les mêmes idées socio-économiques, proches des nôtres. On le voit chez des partis comme le VVD ou même le CDA aux Pays-Bas. D'un autre côté, on est aussi intéressés par des partis qui ont une histoire et des revendications communautaires comme la nôtre - les Basques, les Catalans, les Ecossais.
Vous plaidez pour un soft Brexit, mais plusieurs responsables européens ont dit que ça devait aller vite...
Mais dans tous les partis politiques en Angleterre, le leadership n'existe plus. Ce serait donc normal d'attendre jusque début septembre, quand les conservateurs auront un nouveau président et qu'un nouveau Premier ministre sera en place. Aujourd'hui, on ne sait même pas avec qui négocier.
La N-VA a des liens très étroits avec les conservateurs britanniques, vous aviez notamment rendu visite à David Cameron. C'est Boris Johnson et le "Leave" qui ont gagné. Vous aviez misé sur le mauvais cheval...
Non! On n'a pas bâti un lien avec David Cameron mais avec tout le parti conservateur. On avait de bons contacts avec des membres des deux camps. On a un lien avec les idées des conservateurs britanniques. Il y a 270 firmes britanniques en Flandre et 83% du commerce belge avec l'Angleterre, c'est la Flandre. On a intérêt à ce que ça ne change pas. Donc, le lien avec les conservateurs britanniques va rester terriblement important même si l'Angleterre sort de l'Union européenne. L'Angleterre, c'est une île, ce n'est pas un bateau qui va naviguer vers les Etats-Unis ou l'Australie: elle ne va pas bouger, il est donc essentiel et indispensable de maintenir les contacts, entre autres dans l'intérêt économique.
Mais on va rediscuter des barrières tarifaires, droits de douane, etc. Donc, forcément, il va y avoir des obstacles au commerce et à l'économie.
On doit discuter de tout cela. Regardez: la Norvège et la Suisse ont des statuts spécifiques, pourquoi ne pas s'en inspirer pour l'Angleterre? Mais on va négocier en tant que partenaires égaux: on ne doit pas vouloir prendre une revanche sur l'Angleterre. Ce pays sera à la table des discussions, il ne doit pas être au menu des discussions.
Pourquoi ont-ils dit non à l'Europe, finalement?
Ce qui a pesé lourd dans la balance, c'est toute la mauvaise perception autour de la libre circulation des Européens dans l'Union. Complété avec l'atmosphère négative de la crise d'asile et de la crise de sécurité, même si les Anglais ne font pas partie de la zone Schengen. Je pense que, surtout là, des réformes doivent avoir lieu: les problèmes ne disparaissent pas avec la disparition des Anglais de l'Europe. Il faut s'assurer que personne ne profite indûment des systèmes de sécurité sociale. Si je regarde en arrière, à partir de 2004, on a élargi l'Europe vers l'Est. Nous avons tous mis des clauses transitoires pour que les Polonais, les Roumains,... ne puissent pas venir tout de suite dans nos pays. Les seuls qui ne l'ont pas fait, ce sont les Anglais, dirigés à l'époque par le New Labour de Tony Blair. Conséquence: 2 millions de nouveaux Européens sont arrivés en Angleterre en six ans; ça a changé la société britannique, mais aussi la perception de la réalité. La conviction en Angleterre est que ces gens profitent du système sans y contribuer. Ça, c'est un des fondements de l'hostilité des Anglais vis-à-vis de l'Europe. Tout cela, c'est aussi en partie valable chez nous, et on doit avoir ce débat sur la migration. La liberté de circuler, ce n'est pas le droit d'aller vivre dans un autre pays Européen pour y réclamer des droits sociaux.
Pourtant, l'économie britannique se porte plutôt bien; ces migrants travaillent, ça tourne.
Oui, dans le cas anglais, il s'agit aussi partiellement d'une mauvaise perception. Mais même une perception devient réalité quand les débats s'intensifient. En tout état de cause, ça a été provoqué par une politique socialiste britannique et une mauvaise gestion des enjeux; c'est le cas aussi ici en Belgique, la politique migratoire du PS. Une politique avec laquelle on a voulu acheter des votes, juste en donnant l'accès à son territoire.
Là, c'est un peu court quand même. En Belgique, on a toujours soutenu l'Europe.
Il faut être beaucoup plus nuancé que cela. Là aussi les choses évoluent fortement. Les gens sont fâchés sur l'Europe, chaque fois avec les mêmes griefs : migration et sécurité qui ne sont pas gérées. On doit refixer les règles du jeu: les gens qui viennent ici doivent d'abord contribuer à notre système avant d'en bénéficier.
L'Ecosse a voté en faveur de l'Europe et pourrait tenir un nouveau référendum qui serait, selon les termes de votre président Bart De Wever, un "précédent intéressant". Qu'est-ce que ça veut dire?
Deux choses. Primo, je demande d'être conséquent. Tout le monde prétend vouloir respecter la volonté des Ecossais de rester membre de l'Union. Mais quand on a dû voter au parlement ce mardi pour que les Ecossais puissent rejoindre l'Union européenne, la N-VA et les verts ont voté pour, mais le PS et le MR ont voté contre - sauf Frédérique Ries. Les chrétiens ont aussi voté contre. Deuzio: Guy Verhofstadt, qui donne des leçons depuis des années en disant que le nationalisme mène aux chambres à gaz, c'est lui qui reçoit maintenant la Première ministre écossaise. Il est sans doute forcé de reconnaître que notre nationalisme c'est quelque chose de bien, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et à se détermi.
Il n'a pas dit cela comme ça!
Si on reçoit Nicola Sturgeon et qu'on dit que les Ecossais doivent avoir leur indépendance et leur place en Europe, alors on soutient le nationalisme et le régionalisme. 1+1, ça fait 2. Si on dit que les Ecossais peuvent quitter le Royaume-Uni, alors, c'est du nationalisme. On doit être conséquent. Je suis content que Guy Verhofstadt change d'opinion. Ne laissons pas tomber les Ecossais, car eux n'ont jamais laissé tomber l'Europe!
Soutenir les Ecossais, c'est ouvrir la porte d'entrée à la Catalogne ou à la Flandre de tenir des référendums pour quitter leurs pays respectifs.
Ce n'est pas un hasard si Madrid a directement dit "non" à l'Ecosse. Ils pensent déjà à la Catalogne. Nous, ici au niveau fédéral Belge, on s'est mis d'accord sur une pause communautaire. La N-VA respecte sa parole et on continuera de travailler bien ensemble sous l'angle socio-économique. Mais en Catalogne, c'est le contraire. Ils ont un gouvernement avec un deadline dans environ un an et là ils voudront être indépendant. C'est une évolution très intéressante en Europe.
On fait comment pour relancer l'Europe?
Moi je suis un vrai Européen, je suis convaincu, n'ayons pas peur de la démocratie européenne. Mais pour pouvoir enthousiasmer les gens pour l'Europe, on doit réformer. Premier changement: on a besoin d'un nouveau leadership et on doit responsabiliser tout le monde. Cela implique un nouveau modèle de prise de décision avec tous les autres membres, y compris les pays de l'Est. Mais pour les convaincre, il faut définir l'UE et surtout définir nos frontières. Où sont-elles? On doit pouvoir dire, par exemple, très clairement: la Turquie ne sera jamais membre de l'Union européenne. Jamais. Et on doit aussi définir les limites à la migration. Il doit y avoir un nombre maximal de gens qu'on puisse accueillir chez nous.
Donc, on ne doit pas travailler avec des petits groupes de pays pour relancer l'Europe?
Bof. Travailler avec qui? Si c'est pour uniquement travailler avec les six pays fondateurs, ça ne m'intéresse pas. Avec l'Italie et la France, ce sont les deux pays qui n'ont pas leur économie sous contrôle. Si on peut avoir un lien entre l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Danemark, ça c'est quelque chose d'autre, ça devient intéressant. Si c'est pour suivre la France qui ne respecte aucune règle du pacte européen de stabilité, qui ne met pas ses comptes en ordre, c'est non.
Vous parlez de valeur ajoutée pour l'Europe et pour les Régions. Et pour la Belgique, il y en a une?
Certainement: la défense, par exemple, nous sommes très clairs, là-dessus. On doit avancer vers une défense européenne, liée à l'Otan. Mais là aussi, soyons honnêtes, sans les Britanniques, on perd beaucoup. Leur départ va nous affaiblir, entre autres vis-vis de la Russie de Poutine.
Interview met Sander Loones in L'Echo op 2 juli 2016